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Entretien avec Rémi PAPILLAULT, architecte-urbaniste
Propos recueillis par Pierre LÉPAGNOL
Moderne, contemporaine ? Assurément. Mais méconnue. Toulouse, ou la ville singulière. Retour sur un siècle d’architecture et de croissance urbaine avec Rémi Papillault, responsable du Guide d’architecture du XXe siècle en Midi toulousain 1.
Existe-t-il une écriture architecturale typiquement toulousaine, notamment au début du XXe siècle ? Ou s’agit-il simplement de déclinaisons locales des grands courants de l’époque ?
Cette question de l’identité toulousaine existe dès la Renaissance, avec Bachelier, puis Rivals… c’est un débat qui traverse le temps, mais qui réapparaît de façon forte à la fin du XIXe siècle. L’École des Beaux-Arts envoie alors ses meilleurs élèves à Paris, et c’est ainsi que le toulousain Léon Jaussely (Grand prix de Rome, avec Tony Garnier et Henri Prost) va devenir un véritable passeur, qui va « raccorder » Toulouse à la modernité de « l’art urbain », de l’articulation ville-architecture. En termes d’écriture, l’art nouveau toulousain est méconnu. Il est différent, plus empreint d’éclectisme que celui de Paris, Nancy ou Lille, avec des signatures comme Pujol ou Gilet ; ce dernier, à seulement 24 ans, remporte le concours pour le siège de la Caisse d’épargne, rue du Languedoc, un de ses chefs-d’œuvre tant pour le dessin que pour la réalisation. Architecte en chef de la ville, Jean Montariol réalise la bibliothèque d’études du Périgord, mais aussi de nombreux groupes scolaires (Jules-Julien), la Bourse du Travail, ou encore les premiers ensembles HBM (rue du Férétra, Bonnefoy…), ainsi que plusieurs cités-jardins. La question de l’identité locale est présente, avec l’envie d’une écriture toulousaine qui passe du « brique et pierre » au « brique et béton ». Le manque de reconnaissance de cette période nous a surpris.
Toulouse, ville inachevée ?
Un plan d’urbanisme est toujours inachevé… Ce qui est vrai pour un projet d’architecture, bien souvent modifié en raison de contraintes budgétaires ou techniques, l’est encore plus pour un plan de ville. Une ville élabore un plan pour son devenir, on en commence l’application, le temps passe, on oublie le plan, on le range sur une étagère jusqu’au suivant. Grâce à la richesse de nos archives, nous pouvons mesurer précisément ce phénomène de l’inachèvement qui revient comme une vague, mais qui existe pour toutes les villes. Ce n’est pas là une spécialité toulousaine.
Ce serait plutôt l’absence de plan ou une forme de non-application dans le passage du plan d’ensemble au plan de détail qui serait ici la marque.
C’est tellement inscrit dans le paysage urbain toulousain qu’on ne remarque plus la réussite du projet du XIXe siècle pour la transformation de la ville de l’ancien régime, mis en œuvre par les Virebent, Vitry et d’autres. Ce sont eux, dans l’énergie du Siècle des Lumières, qui vont vraiment donner à Toulouse un visage complètement différent, celui d’une ville où l’architecture se met au service d’un ensemble. Face à cela l’image d’ensemble du XXe siècle est en revanche plus floue, même s’il existe des réalisations architecturales de grande valeur. Si quelques coutures urbaines dans la continuation des plans d’alignement ont été réussies, on n’a pas su inventer la ville du XXe. Pour diverses raisons, les plans de Jaussely puis de Nicod n’ont pas trouvé d’application. L’expérience du Mirail a inscrit sur la ville un traumatisme, une défiance pour l’architecture et l’urbanisme dont nous avons dû longtemps payer le prix. Face à cela, certains grands ensembles se sont fait oublier, se glissant en silence dans le tissu urbain, comme Papus, ou encore la Cité Belle-Paule.
Peut-on parler d’une absence de « mise en scène » de certains bâtiments symboliques, qui donnerait une singularité à la ville ?
C’est avant tout une difficulté à mettre en place des espaces publics de valeur permettant un rapport particulier habitants/institutions. Certaines villes, Lyon par exemple, ont su créer au XXe siècle des espaces publics, qui vont de facto contribuer à la mise en valeur de bâtiments.
Alors que le XIXe siècle a très bien su valoriser les boulevards et les places à Toulouse, avec des ordonnancements de grande qualité, cela aura été plus difficile pour le XXe, même s’il existe des contre-exemples. Le travail de Montariol dans les années trente nous a de ce point de vue impressionné. Il y a eu aussi une véritable invention au Mirail avec un réseau d’équipements dans le quartier dont l’université était le point d’orgue.
Toulouse ne serait pas encore sur la carte des grandes signatures architecturales, une autre particularité ?
Effectivement, au XXe siècle, de façon continue, Toulouse ne fait pas appel à de grandes signatures d’architectes. Sur la carte de France de l’architecture moderne de Mallet Stevens, en 1930, Toulouse n’existe pas. Dans les revues nationales et internationales le seul ensemble cité pour l’ensemble du XXe siècle est le Mirail avec son université. Quasiment aucun bâtiment, à l’exception de Robert Venturi et Denise Scott Brown pour l’Hôtel du Département. Cette particularité ne semble plus de mise, et l’on cherche aujourd’hui à attirer de grandes signatures. Au-delà de l’effet ponctuel d’affichage, on voit malheureusement que cela ne suffit pas pour faire ville à l’échelle de l’ensemble. Un projet de métropole manque.
Vous évoquez la notion de « fortune critique » : le Midi toulousain, territoire en creux de la modernité ? Le patrimoine, les pépites du territoire ne seraient pas suffisamment mis en avant ?
À l’occasion de l’exposition Toulouse en vue(s) qui s’est tenue aux Jacobins, un atlas des plans de la ville a vu le jour, et c’est la première fois que ce type d’ouvrage était publié pour la ville, alors qu’on en compte trois à Lyon et cinq à Paris. Il y a effectivement un vrai déficit de la reconnaissance de ce qui fait l’histoire architecturale et urbaine de Toulouse. Nous n’avons pas de lieu ou de musée de l’histoire de la ville qui montrerait ces plans et avec eux l’histoire urbaine de la ville. Les plans du XIXe siècle s’attachent à montrer la ville au réel avec une grande précision, ce que l’on retrouve au XXe siècle avec les plans Jaussely et Nicod. Cela disparaît ensuite lorsque l’on passe à l’urbanisme réglementaire, comme le POS ou le SDAU (aujourd’hui le PLU et le SCoT). Ces plans ne racontent pas la forme de la ville et n’abordent pas la notion de projet urbain dans sa dimension architecturale, plus précise dans une traversée d’échelle.
Mais peut-on dessiner la métropole ?
On peut imaginer un projet à la grande échelle de la métropole, qui se matérialise par de la carte, du dessin, par une architecture du territoire. Dans l’histoire des villes, la cartographie joue un rôle fondamental. Par-delà la représentation graphique, elle est une forme d’engagement, la manifestation d’une vision.
Une vision métropolitaine hors du centre historique ?
Il y a effectivement hors centre historique de nombreuses potentialités de centralité (cœurs de quartiers, centralités, figures territoriales) qui restent à saisir ; mais il y a aussi une autre échelle, plus vaste, des paysages, des boisements, de grands sites, et ces espaces structurants sont excessivement précieux à l’échelle métropolitaine. Le rapport avec les villes d’équilibre situées autour de Toulouse pourrait faire l’objet d’un plan de grande échelle. Il nous semble qu’au-delà des trois décennies du malheur de l’étalement urbain, l’identité du Midi toulousain réside dans ces systèmes géographiques, ces lignes de forces, fleuve, canaux, collines, terres agricoles, boulbènes, bois et forêts comme dans le maillage de villages, bastides et villefranches. Pouvons-nous faire le plan de cette grande échelle ?
Acronymes :
- HBM : Habitation à Bon Marché
- PLU : Plan Local d’Urbanisme
- POS : Plan d’Occupation des Sols
- SCoT : Schéma de Cohérence Territoriale
- SDAU : Schéma directeur d’Aménagement et d’Urbanisme
Photos © R. Papillault